jeudi 13 juillet 2017

Entrée dans la psychose

Alors j'ai lu le bouquin "Le fou et le mouvement du monde" d'Henri Grivois qui est psychiatre si j'ai tout bien compris. Il y parle de l'entrée dans la folie et du sentiment de concernement, moment clé selon lui où tout peut basculer ou pas vers ces terres étranges que constitue la psychose.

Alors de voix de concernée je veux parler et narrer mon expérience d'entrée dans la psychose à l'adolescence, et de ce long moment (un an peut-être) sans hallus, sans delire, sans symptôme productif ou symptomes construits, dans l'incomprehension et l'étrangeté.
Je ne me rappelle plus mon âge mais j'étais lycéenne, pas encore étudiante infirmière. Donc j'ai 17 ans ou moins. Moins, sans aucun doute, car je me souviens de mon été post bac comme d'un été lumineux où j'ai profité à fond, une parenthèse avant "la vraie vie des gens qui travaillent".
Je me souviens de moments où je errais "en ville" sans comprendre rien à rien. De ce sentiment d'inquiétante étrangeté concernant le monde  entier : j'avais perdu tous les codes. Impossible de savoir, à l'époque certainement pas, je ne mentalisais pas je vivais, j'expérimentais, et impossible à savoir non plus maintenant si l'angoisse massive précédait ces états où en découlait. Deux ados qui se tiennent la main ? Indéchiffrable, la jeune fille est assez grande pour traverser la route seule. Le sgen-te-s ne me voient pas, je suis comme dans une bulle et observe la population et le monde depuis un état au-delà ou en-deça (et tiens Grivois ton sentiment de concernement.
Croiser des potes ? Je ne sais plus leur parler, je ne sais plus que dire, que faire, comment. Je bafouille les mots sus par coeur et qui ont perdu toute moëlle, tout intérêt, tout sens "salut-ça-va? Moi-ça-va"
Les potes me disent alors "ça a pas l'air d'aller" et en effet ça ne va pas. Je parle d'outre tombe, d'outre monde, d'un espace et d'un temps modifiés où je demeure seule.
Je m'habille étrangement, pas atypiquement, pas comme un perroquet d'amazonie ou un déguisement : un jean trop court trop petit, un pull mal accordé qui fait bizarre, des chaussures qui sonnent étranges. Je m'en rends compte le matin mais je-ne-trouve-rien-d'autre tant mon champ de conscience et d'observation est altéré. Je vois comme par le petit bout de la lorgnette, je m'habille car je sais sans le comprendre vraiment qu'il le faut, avec ce que je trouve à tâtons dans l'armoire ou sur le sol. Alors on me trouve bizarre, je le sais sans le savoir. De ces experiences répétées, par phases de deux trois jours de temps en temps, je garde la capacité de reconnaitre un schizophrene dans cet état de visu, par le "truc qui cloche" dans la vêture : ça parait "normal" mais il existe un décalage, tout le flot de ce qui est évident et logique quand on s'habille est faussé.
Pa sde délire, pas d'hallus donc, du flou. Du flou et un jeu de miroirs déformants, de lunettes déformantes. Une angoisse sourde mais plombante, qui tord le coeur, et toujours cette question aujourd'hui : l'angoisse terrifiante tord elle les choses ou l'inquiétante étrangeté angoisse-t-elle ?
Un jour, le lendemain, le surlendemain, je suis "revenue". De ces périodes aussi je garde l'habitude de dire d'un-e usager-e en fin de crise psychotique "iel est revenue" "iel est pas revenu-e tout à fait bien". Moi je sais qu'on part ailleurs. On est étranger-e à soi et au monde mais en soi. L'intérieur et l'exterieur se floutent, sont perturbés. Je reviens, donc, et je mets des vêtements "qui votn bien". Un jean random, un tee shirt qui ne cloche pas, des baskets adéquates. Je me souviens de ma mère "ah, ça a l'air d'aller mieux". Je maintiens, pas qu'à ma tête, pas qu'à mon regard redevenu net et mes gestes moins lents, à mes haits "comme il faut" littéralement.
Je suis revenue je suis fatiguée et j'ai l'impression quel'intérieur de mon crâne est ce vieux chausson confortable dans lequel il est bon et familier de se glisser. J'aurai la même sensation en retour d'acide. Ma tête en forme cette vieille copine. Ô moi-moi-moi, ma psyché chérie. Mon moi intérieur.



Ces expériences se sont poursuivies pendant à peu près une année, parfois au lycée (on comprend celleux qui sont harcelé-e-s ou isolé-e-s du coup), parfois le we ou les vacances, dans la rue, parfois à la maison. Appel aux familles et ami-e-s, quand ma maman me demandait si ça allait, que ça avait pas l'air d'aller, que se passe-t-il, je répondais sincèrement "ça va, je ne sais pas". Mon enfance dépressive à dire "je ne sais pas" pour ma tristesse, une partie de mon adolescence à dire "je ne sais pas", la confusion. Je ne savais vraiment pas. Je ne cherchais même pas à savoir, je me questionnais peu, c'était juste comme ça. Je crois qu'alors je pensais que c'était dans l'ordre des choses et ainsi pour tout le monde, la vie quoi.

Ce n'est qu'après que son venus les troubles du comportement, puisaddictifs, puis délirants.

S'il vous plait, soyons gentils avec les jeunes psychotiques

dimanche 2 juillet 2017

Troubles schizo-affectifs, TCA et diététique

Ce n'est pas la première fois que j'aborde le sujet : les traitements psychotropes incitent à une prise de poids conséquentes - j'en prends des tas.
Actuellement je pèse 90kg environ et je continuais à prendre tranquillement, au rythme d'un ou deux kgs par mois.
Toujours en conflit avec moi-même, et avec mon corps, comme me le disait avec pertinence (lol) un interne en psy me recousant sans anesthésie, espérant probablement me réconcilier avec ma peau dans la douleur et sans xylocaïne, toujours en conflit avec ce corps étrange, donc, j'ai rencontré, par petits bouts, le body positivism. J'étais un peu réservée tout de même, les femmes magnifiques qui se prenaient en photo étaient... eh bien magnifiques, avec des grosses silhouettes mais en sablier, des nez fins et droits, de belles pommettes, des tatouages old school trop classe et les cheveux multicolores. Et des fringues waouh.
Moi j'ai pas trop de seins et surtout du ventre, une face des plus étranges et pas très gracieuse selon les normes, je peux pas me colorer les cheveux, mes tatouages ont bavé et j'arrivais pas à me saper, hashtag budget hashtag t'as de bons url ? Et surtout toutes ces meufs semblaient hyper fortes et sûres d'elles. Moi, bof.
Puis j'ai pris connaissance du mouvement fat acceptance, de la lutte contre la grossophobie, j'ai lu des autrices comme Daria Marx, ou Lau, ou Gabrielle Deydier et je me suis dit, à force : mais merde quoi, je me torture deux années sur trois juste pour entrer dans un 38, je reste affamée terriblement pour conserver ce poids - que m'impose la société et mon regard formaté par icelle- j'en ai ras de me maltraiter.


Ce préambule pour dire un peu où je me trouvais il y a un mois environ, par rapport à ma corpulence, au niveau personnelle et, politique dirais-je. Quand même, mon infirmière référente au CMP, C., qui est une soignante parfaite, me proposait de temps en temps de me peser, uniquement si je le souhaitait, et puis m'a appris que le CMP disposait dans son équipe d'une diététicienne, alors pour "faire le point, me stabiliser" j'ai pris rdv.

Vous ai-je déjà dit que ce CMP est une perle qui regorge de professionnel-le-s géniauxles ? (ou simplement normauxles et aidant-e-s, c'est plutôt presque partout ailleurs la stupéfaction)
Au cours de l'entretien, où ne m'a pas même été demandé mùon poids ni de me peser, j'ai appris (chose que tout mon entourage avait constaté sans m'en parler directement)que je souffrais de troubles du comportement alimentaire induits par mes troubles psychiques (comorbidité dirons nous) et au traitement.
Donc hyperphagie prandiale (beaucoup manger lors des repas - je ne ressens pas la satiété) et crise nocturne d'hyperphagie. Un grand classique m'a indiqué la diététicienne avec les neuroleptiques, ainsi qu'une appétence pour le sucré et de fréquentes "fringales". Mes périodes de restriction alimentaire, bien qu'alors tout le monde me félicite pour ma perte de poids et ma bonne forme, relèvent également des TCA (syndrome mannequin)
Depuis mon adolescence je varie entre une maigreur (45kg) et une obésité modérée (95kg) sur des cycles qui parleront peut-être aux lecteurices bipolaires : état maniaque/mixte/hypomanie = perte de poids conséquentes, fin de l'état dans le sang et les larmes = continuité de la perte de poids, hospitalisation ajustement du traitement, phase dépressive (un an minimum) = prise importante de poids, bouclage de la boucle avec retour à un état stable = reperte de poids aux alentours de 60kg et on reprend depuis le début.


Evidemment ces cycles infernaux ont bousillé mon métabolisme de base et je ne peux plus espérer accéder à la minceur sans me maltraiter, je ne le souhaite pas.

Maintenant je vois bien, empiriquement, que plein de personnes avec mon parcours de soins et de santé vivent les mêmes variations, le même type de TCA.


Je passe donc aux conseils de la dietéticienne pour limiter la casse, phase 1 : pour mes "casse-croûtes" (crises), ne pas me refrener en quantité mais privilégier jambon blanc, pain complet, fromage blanc avec canderel, surimi, blancs de poulets (legumes aussi). Noter tout ce que je mange sur un mois "pour que je puisse avoir une idée". Limiter tous les sucres simples (pain blanc je pense à toi) sauf pendant les repas. Tenter une stabilité de l'alimentation. Prendre un vrai petit dejeuner et un vrai déjeuner (diner pour les belges). La régularité est la clé.


Mes conseils perso pour se sentir mieux dans son corps passe par la vêture, alors faut avoir des thunes. Ce qui me grée mieux sont les robes coupes rockabilly (chez belldandy) et je shoppe principalement chez asos, pas forcément ligne Curve d'ailleurs (puisque les coupes dites classiques vont jusqu'à mon 46), Bonprix est un bon plan niveau budget, certains Emmaüs ou secours pop aussi ont de grandes tailles (les grands surtout), je vais aussi chez Forever21 qui a une ligne plus size mais si je me souviens bien les fdp, voilàvoilà.

La folle et Fort Boyard

En voilà une histoire qu'elle fait un peu de bruit dans le milieu des psychiatrisé-e-s et familles d'icelleux.
A raison.
L'épreuve de Fort Boyard, jeu d'équipe avec des célébrités traversant moult périples afin de gagner un pactole à remettre à une association (bonne initiative), nommée "la cellule capitonnée" (anciennement "l’asile") m'a marquée quand j'en ai eu vent et l'ai regardée.
La séquence que j'ai regardée aujourd'hui tôt, après avoir pris mes médications matutinales a été diffusée hier sur France 2.
Un des joueurs se fait passer une camisole couverte de petites boules pelucheuses, puis enfermer dans une cellule capitonnée. Il doit se frotter aux murs pour décrocher les boules et les placer avec les dents dans des tuyaux.
Malaise quand je me prends dans le cerveau le souvenir encore aigu, vingt ans après, de mes 15 jours de claustration en chambre "forte". Erreur me disent mes souvenirs. Si je n'ai pas été sanglée, erreur dans la conception de la chambre "capitonnée", la mienne ne l'était pas et ça faisait des bosses de se frapper la tête contre les murs. Erreur, il n'y avait pas de cuvette de WC, mais un simple seau où pisser et chier. Erreur dans les tags aux murs, je n'avais pas droit aux marqueurs, crayons, stylos, non plus qu'à de simples livres a couverture souple. Et on s'ennuie H24 entre 4 murs sans compagnie qu'un infirmier dix minutes trois fois par jour pour le plateau repas prédécoupé qu'on mange par terre.
Et en vingt ans les conditions de contention se sont plutôt durcies.
Les souvenirs affluent : l'hôpital psy insalubre, les chambres à trois lits, les pyjamas bleus, les soignant-e-s jamais là, les patient-e-s pervers-e-s ou désespéré-e-s, en conditions carcérales, qui prédatent et trafiquent. Mais aussi lieu d'asile au sens noble, le lieu qui m'a permis plusieurs fois de ne pas mourir.

Mais de quoi serais-je morte ? De trop d'alcool, de trop de toxiques, de trop de cette automédication désespérée. De trop de souffrance, de trop de solitude, de trop de TS qui un jour se réussissent, de cette détermination à crever couplée à ce devoir-vivre, ce vouloir-vivre féroce qui toujours tient, quelque part.

Je serais morte de la discriminations, de la société qui veut éliminer les anormaux qui ne peuvent pas se corriger, cette discrimination qui prend racine dans la culture populaire, dans les légendes urbaines, dans des images telles que celles que j'ai vues, ce matin, tôt, juste après ma prise de traitement. L'image d'un fou, furieux, qui "marche sur la tête" (la cellule tourne sur elle-même, la caméra restant fixe, donnant l'impression que le "fou" marche sur les murs et au plafond) Je serais morte de ce que mon père croit encore que l'asile et les fous c'est comme ça. Je serais morte des comptines des enfants biberonnés à la télé qui croient que l'HP et les fous, c'est ça.

Mais je serais pas morte de pas en rire. J'en ris, de ma folie, même mes rares voix parfois me font des blagues fort à propos. Je ris d'absurde de situation, je ris de kafkaïsmes administratifs et hospitaliers qui touchent au grotesque et nous broient chaque jour. Je sais me divertir, je chante, je lis, je ris, j'échange, avec des fous, avec des normaux.

J'aime rire et me divertir, j'aime plaisanter de sujets graves, tant que je suis concerné-e directement par cette discrimination, je n'aime pas me moquer méchamment de celleux qui souffrent, je n'en peux plus que nous fous soyons encore les sujets de blagues niveau carambar ou facholand, que nos souffrances et nos conditions de "détention thérapeutique" soient un sujet de divertissement.


Je nous épargne la comparaison avec d'autres types de souffrance dont presque personne ne rit, le rire c'est la politesse du désespoir parait-il, ce qui n'autorise pas les personnes qui ne sont pas désespérées à en faire usage aux dépens de celles qui le sont.

Cette épreuve de Fort Boyard est stigmatisante, autant pour les usager-e-s de la psychiatrie que pour les lieux de soin et les soignant-e-s qui essaient souvent frénétiquement de faire leur taff dans des conditions austères de merde, elle est insultante, elle est "trigger" (elle ravive un traumatisme), elle n'a rien à foutre sur une chaine de service public dans un programme destiné en partie à la jeunesse.