jeudi 1 septembre 2016

Ma psychophobie intériorisée

Je n'ai longtemps pas eu conscience d'être schizophrène, il y a encore deux ans je l'ignorais. Quand j'ai rencontré mon actuel aimé je le lui ai dit avant que nous ne soyons ensemble en ces termes "J'ai des troubles schizoaffectifs"; quand il m'a demandé ce dont il s'agissait j'ai répondu "Des espèces de troubles bipolaires, schizo je sais pas pourquoi" façon de dire "c'est pour décorer en fait". Mais c'est ce que mon psychiatre me disait. Cela est plus récemment, quand je parlais du fait que je me sois vue décompenser à travers la folie, il m'a dit "c'est ça qui ne fait pas schizophrène" Ma dernière décompensation en cure l'a été sur un changement de traitement psy par le médecin psychiatre du centre de cure. Je ne me savais pas schizophrène, toujours et il m'avait dit à la lecture de mon ordonnance "Je ne vous vois pas schizophrène" ce qui m'avait grandement soulagée et libérée. J'avais abondé en ressortant mon histoire de pas vraiment schizo, plusieurs diagnostics reçus, hospitalisations humanitaires car intoxications alcooliques et médicamenteuses chronique qui créaient les troubles bizarres. Traitement modifié, j'ai décompensé vite et de manière très impressionnante, car sur un mode quasi-catatonique.
Un médecin qui me recevait pour une expertise (d'arrêt longue durée) m'a accueillie d'un "bonjour ! Alors vous êtes un peu déprimée, vous ne voulez plus travailler" avant de se sentir péteux quand je lui ai expliqué mes troubles et montré mes cicatrices.

Quel sont les points communs à ces deux petites histoires ? Mon déni d'abord, qui est un mécanisme de défense, lors d'un deuil notamment, mais habituellement moins long (là je parle de 20 ans de vie si je ne compte pas la dépression infantile); la réaction des médecins quand ils me voient en période de rémission (ou en cours de rétablissement maintenant), donc "normale" ne me pensent pas comme schizophrène. Parce que pour elleux une "vraie psychotique" délire, n'a pas conscience de ses troubles, "a l'air folle" quoi.

Et j'ai longtemps pensé de cette manière là aussi. Et si je suis convaincue que c'était une défense, je suis certaine aussi que ça a été prolongé et entretenu par cette pensée soignante, et le fait que je sois moi-même soignante, et très intéressée depuis longtemps par la psychiatrie a fondé ma croyance en les paroles des médecins. Qui dit que la psychose c'est mal. Et flagrant, que ça se voit sur la tête. Et comme ça m'était insupportable d'être "folle", et que la moitié du temps je ne l'étais pas, cela a nourri mon déni : cette pensée soignante dit sans dire (car ne mentalise pas je crois) qu'il y a les "vrais schizophrènes" et les "personnes avec des troubles qui permettent un rétablissement", celleux qui travaillent à l'exterieur et celleux qui ne le peuvent pas, les anormaux et les pas tout à fait normaux parmi les usager-es, es graves et les pas graves, les foutu-es et celleux pour qui on a de l'espoir. Si un-e parti-e pour être schizophrène se révèle stable entre les crises, c'est "qu'iel n'est pas schizophrène", on modifie le diagnostic... et le pronostic.
Cela m'a ironiquement piégée en tant qu'infirmière schizophrène (on peut pas être des deux côtés de la barrière spas) mais aussi en tant qu'usagère de la psychiatrie.
Celui nuit à beaucoup de schizophrènes "exceptionnel-les comme moi" car cela influe sur les soins, la politique de soins, le traitement, le relationnel soignant-es usager-es.

Ce point de vue psychophobe "vrai fou" "pas trop fou ça va" prend racine également dans la manière dont la médecine a longtemps traité les psychotiques, coercition, renfermement, dont la folie est depuis longtemps (toujours en Occident ?) considérée comme une maladie contagieuse méprisable. Ce point de vue est aussi celui de la société, celui qui a fondé ma psychophobie intériorisée : je ne suis pas vraiment malade, donc je le fais exprès (alcool et autres toxiques produisant...) pour rechercher l'attention, je me plains pour rien, d'autres personnes ont plus grave (comme s'il fallait hiérarchiserles troubles psy) et surtout en fond constant : omg non pas ça dites moi que ce n'est pas ça. Cette chape de pas avoir entendu au sens psycho le diagnostic pendant 15 ans. Quand je l'ai réalisé j'ai ressenti un tel soulagement en même temps que la douleur (et je suis beaucoup plus stable depuis) !

On n'a pas fini de lutter pour que tout aille de l'avant.

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